La République démocratique du Congo (RDC) a enregistré en juin 2025 des pluies diluviennes inattendues dans plusieurs villes du pays, causant plusieurs matériels et des pertes en vies humaines. Le pays compte quatre saisons climatiques : une courte saison sèche de janvier à février, une courte saison des pluies de mars à mai, une longue saison sèche de juin à septembre et une longue saison des pluies d’octobre à décembre.
Contexte général
Entre le 13 et le 30 juin 2025, l’écosystème informationnel congolais a connu une activité numérique significative autour des pluies diluviennes survenues à Kinshasa. Celles-ci ont été largement associées, par les internautes comme par certains médias, à un phénomène de dérèglement climatique.
Au total, 124 comptes identifiés dont 60 sur Facebook et 64 comptes sur X (anciennement Twitter) ont participé à la diffusion de contenus sur le sujet. Ces publications ont été partagées, commentées et amplifiées au sein d’un espace discursif à la fois humoristique, sceptique et parfois conspirationniste.
Sur la plateforme X, la surveillance de la conversation a permis de recenser 523 publications originales, ayant cumulé 2 002 141 impressions, 32 006 interactions (likes, reposts et citations) et 5 403 commentaires. Ces chiffres témoignent d’un fort engagement organique, sans indicateur d’amplification automatisée à ce stade, mais avec une nette tendance à la recontextualisation humoristique.
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L’analyse temporelle met en évidence un pic d’activité le 14 juin 2025, soit 24 heures après la publication d’un communiqué de la METTELSAT (Agence nationale de météorologie et de télédétection par satellite de la RDC). Ce communiqué faisait état d’une perturbation climatique liée à des anomalies saisonnières, écrites par l’expression singulière de “ saison sèche femelle”, une formulation non conventionnelle dans le lexique météorologique.
Ce choix lexical a constitué un point d’inflexion narratif, transformant un sujet initialement scientifique en enjeu discursif à forte viralité. Plusieurs médias congolais (notamment en ligne) ont reformulé et amplifié cette terminologie, contribuant à l’émergence d’un même linguistique rapidement détourné par les utilisateurs.

Graphique fourni par Meltwater montrant les tendances de publication allant de la période du 01 juin au 31 juillet 2025, soulignant le pic de publication intervenu entre le 14 et le 16 juin 2025 sur X
L’analyse qualitative des messages publiés sur la période indique une montée du scepticisme à l’égard des explications scientifiques relatives au changement climatique, entraînant une polarisation accrue du débat environnemental en République Démocratique du Congo.
Nous avons constaté qu’il y a eu trois types de récits qui ont circulé;
- Des récits institutionnels, seulement 22% de récits institutionnels, ce segment correspond aux publications citant directement la METTELSAT ou reprenant les extraits du communiqué officiel. Le ton est principalement informatif, mais souvent relayé sans contextualisation scientifique ni vérification. Certains médias ont ainsi reproduit textuellement la terminologie “ saison sèche femelle “, ce qui a facilité la migration du discours institutionnel vers le registre populaire.
- Captures d’écran du post de Stanis bujakera (Journaliste indépendant congolais) sur les prévisions climatiques du METTELSAT et des réactions issues de son post, exprimant des avis sceptiques et moqueurs
- Captures d’écran du post de Stanis bujakera (Journaliste indépendant congolais) sur les prévisions climatiques du METTELSAT et des réactions issues de son post, exprimant des avis sceptiques et moqueurs
- Le récit humoristique et moqueur (56 %) : Majoritaire dans l’échantillon, ce courant repose sur la dérision du discours officiel. Les internautes y emploient des expressions comme “la femelle pluie cherche le mâle soleil” ou “saison sèche mal découchée”, transformant la communication de la METTELSAT en un objet de satire collective.
Ce langage symbolique a eu pour effet de détourner l’attention du public des causes scientifiques du phénomène climatique, en ancrant la conversation dans un imaginaire social et genré, dont la technique investie renvoie à l’utilisation de récits existants, une adaptation d’un récit culturel préexistant (anthropomorphisation du climat) pour recontextualiser un fait scientifique.
- Enfin, les récits sceptiques et disqualifiants ont gagné 22 % du corpus analysé. Ces messages remettent en cause la crédibilité des institutions météorologiques nationales et, plus largement, des discours sur le changement climatique. Les internautes y expriment un rejet du discours scientifique, en l’associant à une forme d’incompétence ou de déconnexion des réalités locales.
Ce segment révèle une polarisation discursive entre partisans de l’explication scientifique et promoteurs de lectures symboliques ou mystiques du climat, dont la technique investie renvoie à l’exploitation d’ambiguïtés terminologiques pour semer le doute sur la fiabilité de la source.
- Captures d’écran de posts publiés sur X utilisant la dérision et l’humour au sujet de prévisions climatiques du METTELSAT (Source: Balobaki utilisant X(twitter))
- Captures d’écran de posts publiés sur X utilisant la dérision et l’humour au sujet de prévisions climatiques du METTELSAT (Source: Balobaki utilisant X(twitter))
- Captures d’écran de posts publiés sur X utilisant la dérision et l’humour au sujet de prévisions climatiques du METTELSAT (Source: Balobaki utilisant X(twitter))
- Captures d’écran de posts publiés sur X utilisant la dérision et l’humour au sujet de prévisions climatiques du METTELSAT (Source: Balobaki utilisant X(twitter))
L’ensemble des signaux observés suggère une transformation d’un événement météorologique en objet social et culturel, facilitée par un manque de médiation scientifique dans la communication institutionnelle. Le recours à une terminologie non scientifique (« femelle », « mâle », etc.) a servi de catalyseur narratif, ouvrant la voie à des dynamiques de dérision et à la désinhibition du scepticisme climatique. Les analyses ci-après décrivent de manière structurée la typologie et la taxonomie des récits diffusés durant la période d’observation.
Défiance numérique et narratifs alternatifs autour des pluies diluviennes à Kinshasa
Le 14 juin 2025, en pleine saison sèche, des fortes pluies ont provoqué des inondations et causé la mort de 29 personnes ainsi que la destruction de plusieurs maisons dans la capitale Kinshasa. Selon l’Agence nationale de météorologie et de télédétection par satellite (METTELSAT) de la RDC, des pluies diluviennes en saison sèche est un phénomène rare qui s’explique par la perturbation climatique, due notamment à « une saison sèche femelle ».

Capture d’écran de l’article de Radio Okapi sur les dégâts causés par la pluie diluvienne de juin 2025
Sur les réseaux sociaux, ce phénomène ne laisse pas indifférent les internautes. Chacun y va de son commentaire ou de sa théorie, qui souvent, ne se fait pas sur base d’une expertise avérée. La plupart des internautes remettent en cause les prévisions faites par les instances habilitées, qui ont établi que ces perturbations étaient causées par les variations climatiques.
Certains internautes vont même jusqu’à pointer du doigt la responsabilité de l’État ou même évoquer les forces surnaturelles. Dans une publication sur X le 14 juin 2025, le journaliste Steve Wembi (plus de 486 900 abonnées sur X) a alerté sur les inondations causées par la pluie diluvienne. Quelques jours plus tôt, en avril 2025, il avait, dans une publication sur X, pointé « l’incompétence des dirigeants » qui expose les kinois aux répercussions des pluies diluviennes.

Capture d’écran des publications sur X du journaliste Steve Wembi
Ce type de narratif est souvent noté dans la publication des internautes en colère et impuissants face aux dégâts causés par les inondations. « Une pluie = Kinshasa inondée. Tshisekedi, Bumba, Shabani… vous servez à quoi ? Pays géré par des figurants », indique le compte X « Dan Lukusa » dans une publication le 14 juin.
« À Kinshasa, après la pluie, ce n’est pas le beau temps… c’est le chaos ! Zéro transport, embouteillages monstres, routes pourries, nids-de-poule partout. Et le gouvernement – central comme provincial – regarde ailleurs. Incompétence élevée au rang de gouvernance ! », dira l’internaute qui se fait appeler « LeDécodeur Tout-Kin » et qui se présente comme « Analyste politique de la rue », dans une publication sur X le 20 avril 2025.

Captures d’écran des publications critiques contre le gouvernement congolais sur X
Ces commentaires des internautes face aux inondations à Kinshasa traduisent une frustration profonde envers la gouvernance urbaine et la gestion des infrastructures. Avec des expressions accusatrices, ces commentaires montrent une perte de confiance envers les autorités et un sentiment d’abandon dans la population face aux effets du changement climatique.
Ce type de narratif, souvent viral, transforme les réseaux sociaux en espace de contestation politique. Ces commentaires qui ne se limitent pas aux accusations et aux plaintes, constituent un acte de participation civique et une tentative de rendre visible le quotidien des kinois à travers le prisme de leur colère face aux effets du changement climatique.
Rejet de la science et la confiance en Dieu
De toutes les publications Facebook, X et TikTok que nous avons pu analyser (1, 2, 3, 4 et 5), celle du média numérique Pepele-news se distingue particulièrement. Basée sur un communiqué publié le 15 juin 2025 par la METTELSAT, elle illustre parfaitement la perception qu’ont certains congolais du changement climatique et ses impacts sur la société.
En effet, ce communiqué expliquait notamment que « l’affectation du vent du nord-ouest, venant du Golfe de Guinée, amène des masses de nuages cumuliformes, occasionnant ainsi des orages et des pluies sur la capitale congolaise, en influençant les conditions locales« . Une information purement scientifique, dépourvue d’intention politique ou polémique, mais dont la réception sur les réseaux sociaux reflète autre chose.
Dans les commentaires publiés sous le post de Pepele News, certains mots reviennent avec insistance : « Dieu », « nature », « colère », « pouvoir », « bidon », ou encore « mensonge ». La récurrence des mots traduit un rapport complexe entre foi, science et confiance publique. Beaucoup d’internautes associent les phénomènes climatiques à la volonté divine, niant ou minimisant la portée des explications scientifiques.
Parmi les réactions qui nous ont interpellées, on peut lire par exemple : « La pluie, la sécheresse et toute la condition atmosphérique viennent de DIEU, le seul initiateur, directeur et créateur. Cher météorologue, sois tranquille afin que le maître se prononce ». « La nature ne veut plus Tshilombo au pouvoir ». « Des prévisions météo bidon, j’ai honte de nos météorologues. Sans aucune alerte, les gens meurent comme si l’État congolais ne vous donnait pas de moyens pour ce travail ». « Un détournement climatique ! ».

Captures d’écran de quelques commentaires sur la publication de People News
Ces commentaires reflètent à la fois un scepticisme vis-à-vis de la science, une méfiance envers les institutions et une politisation spontanée du discours climatique en RDC, en dépit des efforts fournis par l’Etat pour mettre cette question au centre des préoccupations gouvernementales.
L’auto-dérision pour minimiser l’urgence climatique
Sur les réseaux sociaux, des internautes utilisent l’auto-dérision pour minimiser les questions climatiques pourtant importantes dans le pays. Nos recherches nous ont permis de collecter trois publications d’auto-dérision qui ont circulé sur les réseaux sociaux. Ces publications sont accompagnées des commentaires tels que : « Le vrai luxe à Kinshasa, ce n’est pas la voiture, c’est de garder ses chaussures propres« , « Quand le ciel pleure, la SNEL tousse« .
- Capture d’écran de publication d’autodérision qui minimise la question climatique en RDC
- Capture d’écran de publication d’autodérision qui minimise la question climatique en RDC
Pour certains internautes, le gouvernement congolais ne prend pas la question climatique au sérieux sur terrain puisqu’il ne vient pas en aide aux sinistrés comme il se doit. Ils dénoncent aussi la faible application des mesures prises par le gouvernement pour atténuer les effets des pluies diluviennes telles que les inondations reste en surface. « Toujours na idéologie y a Viva la musica, sourire y a pepsodent, nzoto ya pharmacie et santé y a alimentation », commente un internaute en langue locale nigala.
De l’analyse de ces publications, nous avons noté que le changement climatique n’est pas mis en avant mais plutôt les aprioris de chacun sur la gestion des catastrophes climatiques par l’Etat, ce qui laisse penser qu’il y a une politisation du sujet climatique. Souvent, les comptes qui partagent les mèmes ne sont pas spécialistes climatiques, mais des jeunes congolais qui parlent de différents sujets.
Le changement climatique et la théorie du complot
Sur le réseau social X plusieurs comptes ont publié des contenus climato-sceptiques (1, 2, 3, 4, 5). Selon une vidéo publiée le 25 septembre 2025 sur X, un internaute qui se fait appel Citoyen initié estime que le climat a toujours changé, les émissions de CO2 des humains ne changent rien pour le climat. « Ce sont les chiffres du rapport du GIEC, mais ils n’en parlent pas. Ça permet d’encaisser des centaines de milliards de taxes par an et de contrôler les populations”, affirme-t-il.
Quelques jours plus tôt, le 14 août 2025, le même internaute allègue dans une publication sur X que « le problème n’a jamais été le climat, mais les pourritures qui manipulent la météo, cachent le soleil, dissipent les nuages ou créent des pluies artificielles ». Ces deux publications ont cumulé plus de 70 500 vues, plus de 1 191 partages, plus de 4 000 likes et 417 sauvegardes.

Capture d’écran des publications climato-sceptiques du compte X Citoyen initié
Nos analyses ont révélé une certaine appréhension et hostilité des internautes face à ce discours. Certains soutiennent que le changement climatique est une arme utilisée par l’Occident pour contrôler et semer la terreur chez les gens (1 et 2). D’autres affirment que les solutions proposées, comme l’utilisation des éoliennes, sont plus destructrices de la nature qu’autre chose.
D’autres encore rejettent la faute à l’occident où se trouve la majorité des industries qui polluent la planète, comme cette vidéo de 2024 devenue virale dans laquelle l’ancien président du Sénégal, Macky Sall, appelait à la responsabilité climatique.

Capture d’écran d’une ancienne vidéo dans laquelle l’ancien président du Sénégal Macky Sall appelait à la responsabilité climatique
Ce type de narratif montre qu’en République démocratique du Congo, la compréhension et la mobilisation autour de la question du changement climatique sont entravées par la perception du public, qui oppose souvent aux données scientifiques des croyances spirituelles ou des théories du complot. La méfiance envers les autorités et les institutions spécialisées renforce ces croyances.
Cet article a été rédigé avec le soutien de l’African Digital Democracy Observatory (ADDO) dans le cadre d’une initiative du ministère norvégien des Affaires étrangères et de Code for Africa (CfA). Pour plus d’informations, rendez-vous sur https://disinfo.africa/.












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