Cette instrumentalisation s’observe particulièrement dans les relations, souvent tendues, entre le pouvoir politique et l’Église catholique congolaise, incarnée par la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), qui intervient dans la médiation, la défense des droits humains et l’observation électorale, un terrain où ses prises de position heurtent les intérêts du régime en place.

Au fil des années, l’église catholique s’est imposée comme une force morale et critique, se présentant comme gardienne de la conscience nationale et prônant la notion du bien commun. Mais cette posture, jugée trop indépendante par certains, en fait une cible privilégiée des attaques. 

Le dernier épisode marquant remonte à mars 2025, lorsque la CENCO, par la voix du cardinal Fridolin Ambongo et de Monseigneur Donatien Nshole, a proposé le dialogue à travers leur initiative “Pacte Social pour la Paix’’ comme voie de résolution de la crise politico-sécuritaire persistante dans la partie Est du pays.

Une approche mal accueillie par certains proches du pouvoir, qui au lieu d’affronter le débat de fond et rester au niveau des idées, ont préféré tourner la critique sur le terrain personnel et moral. C’est dans ce contexte que le pasteur influent de Kinshasa, Paul Mukendi, avait publiquement, en mars 2025, accusé les prélats catholiques d’homosexuels. Dans sa déclaration, il a traité les figures principales de l’église de “conglomérat d’homosexuels” pour discréditer leurs prises de position.

Capture d’écran de la vidéo du pasteur Paul Mukendi traitant les catholiques d’homosexuels

Publiée par le compte X Jeunes Patriotes Congolais (plus de 28 400 followers), cette publication qui a généré plus de 130 200 vues, 329 commentaires, 209 likes et 152 retweets a suscité beaucoup de controverse sur les réseaux sociaux, dans un pays où plus de 40% de la population est chrétien catholique et près de 60 % des écoles primaires du pays sont gérées par des congrégations religieuses catholiques, ainsi que des hôpitaux. Beaucoup de diocèses sont en outre propriétaires d’entreprises, incluant des fermes ou des magasins.

Fracture des perceptions

Comme dans une grande partie de l’Afrique subsaharienne, en RDC, l’homosexualité reste largement rejetée socialement. Dès lors, l’associer à une institution ou à une personnalité publique devient un outil redoutable de délégitimation. Cette stratégie de stigmatisation vise moins à discuter du fond moral ou religieux du sujet qu’à miner la crédibilité de ceux qui dérangent un camp influent ou détenant le pouvoir.

Dans ce genre de cas, l’accusation d’homosexualité fonctionne alors comme un raccourci efficace de désinformation. Sur les réseaux sociaux, cela a permis de présenter la CENCO et l’église catholique par ricochet, non plus comme une instance morale, mais comme une institution corrompue et occidentalisée, alignée sur des valeurs étrangères à la société congolaise.

Les déclarations de feu Pape François, notamment sa décision d’autoriser la bénédiction des couples de même sexe à travers le document Fiducia Supplicans (décembre 2023), ont servi de catalyseur à ces controverses. En RDC, cette ouverture du Vatican avait suscité un rejet massif dans les milieux religieux et sociaux, poussant la CENCO à clarifier sa position : refusant d’appliquer la mesure, tout en réaffirmant la nécessité d’accueillir les personnes homosexuelles dans la charité chrétienne.

Capture d’écran de la publication de clarification de la CENCO sur son site internet

Mais cette nuance, souvent ignorée dans le débat public, a alimenté la méfiance à l’égard de l’Église. Dans les récits circulant sur les réseaux sociaux, les propos du Pape François sont régulièrement sortis de leur contexte pour entretenir la confusion et assimiler l’Église à une institution encourageant une supposée dérive morale. 

Nous avons identifié des comptes aux contenus assimilant l’église et ses dirigeants à l’homosexualité, en première position, on retrouve encore le même pasteur Paul Mukendi, qui en réaction au décès du Pape François, avait déclaré que :  “l’histoire retiendra que le Pape François n’a pas marché dans les traces des Saintes Écritures. Il a foulé aux pieds les fondements de la famille et introduit les choses contre-nature dans l’Église catholique”.

Capture d’écran de la publication du Révérend Paul Mukendi sur Facebook

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Sous ce post annonçant également la mort du pape François, cet internaute surenchérit avec un commentaire du même sens : ‘’La mort d’un gars qui autorise le mariage homosexuel au Vatican ne me fait ni chaud ni froid…’’, un point de vue partagé par une internaute qui publie même une lettre venant tout droit de l’enfer où serait actuellement le Pape François.

Capture d’écran de la publication d’une lettre ouverte supposée venir de l’enfer

De la manipulation pour anéantir toute initiative de protection des minorités sexuelles

En RDC, l’année 2025 s’impose comme une période charnière dans les rapports entre l’Église et le gouvernement sur les libertés sexuelles. Dès le 15 janvier, la Conférence Épiscopale Nationale du Congo (CENCO) et l’Église du Christ au Congo (ECC) ont lancé dans la région des Grands Lacs le Pacte social pour la paix et le bien-vivre ensemble en RDC. Ce projet, ambitieux et symbolique, visait à promouvoir la réconciliation, la justice et la cohésion nationale dans un contexte de tensions sécuritaires persistantes.

En initiant cette démarche, les deux principales institutions religieuses du pays ont réaffirmé leur rôle d’acteurs de médiation, soucieux d’apaiser les divisions internes et d’encourager un dialogue sincère entre les communautés. 

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Moins d’un mois plus tard, le 13 février 2025, une délégation conjointe de la CENCO et de l’ECC était reçue à Kigali par le président rwandais Paul Kagame. Cette rencontre, rare et stratégique, visait à aborder la crise sécuritaire de l’Est congolais au cœur des tensions diplomatiques entre Kinshasa et Kigali.

Ce déplacement témoigne de la volonté des leaders religieux de s’impliquer au-delà des frontières, cherchant à jouer un rôle de médiation régionale. Si cette initiative fut saluée par certains observateurs, d’autres y virent une tentative risquée, tant la question du groupe rebelle appelé M23 et des ingérences étrangères demeure sensible dans le pays.  

Captures d’écran d’un article de Vatican News sur la création du pacte pour la paix transfrontalière et d’un article de Radio Okapi la rencontre entre les leaders religieux et Paul Kagame

C’est ce contexte particulièrement tendu que l’internaute Guerson Nabushi Nyonkourou a fait sur X une publication assez tendancieuse qui utilise une photo manipulée où on voit l’ancien président Joseph Kabila habillé en femme aux côtés du chef de l’Etat rwandais Paul Kagame ainsi qu’une photo manipulée des responsables de l’église catholique en RDC dans un décor de feu. Ces photos d’illustration montrent une volonté assumée de nourrir un narratif anti-LGBTQI+ à travers la manipulation de l’opinion publique.

Capture d’écran d’un post associant l’homosexualité à l’église

Une recherche par image inversée sur Google nous permet de découvrir que la photo manipulée de Paul Kagame et de Joseph Kabila a été utilisée plusieurs fois pour nourrir d’autres narratifs, notamment politique, liées à la situation de crise dans l’Est de la RDC. L’une des publications les plus virales a été faite sur X le 23 février 2025 par le compte Erwan-Saint’S Le Révérend. Dans cette publication, l’auteur indexe une similarité de discours entre Paul Kagame et Joseph Kabila. 

Sur X, Guerson Nabushi Nyonkourou, l’auteur de la publication qui associe l’église catholique à l’homosexualité, se présente comme journaliste travaillant pour le média en ligne XtrAfrica Media Group. L’analyse de ses publications et celles de son média révèle un narratif xénophobe et un discours hostile à l’ancien président congolais Joseph Kabila et au président rwandais Paul Kagame, comme le montre cette image manipulée utilisée le 11 juin 2025 pour illustrer une publication qui n’avait visiblement aucun rapport avec la sexualité.

Capture d’écran d’une image manipulée publiée par Guerson Nabushi Nyonkourou

Cet article a été rédigé avec le soutien de l’African Digital Democracy Observatory (ADDO) dans le cadre d’une initiative du ministère norvégien des Affaires étrangères et de Code for Africa (CfA). Pour plus d’informations, rendez-vous sur https://disinfo.africa/.