Par Ange Kasongo Adihe (Balobaki Check, RDC) et Valdez Onanina (Africa Check, Afrique francophone)
____________________________________________________________________________________________________________________________________________
Contexte
Le M23 est principalement constitué de mutins des Forces armées de la RDC (FARDC), dont une grande partie provient des rangs du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP). Selon une fiche d’information du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), les accords du 23 mars 2009, à l’origine de la rébellion du M23, incluent une clause prévoyant un nouveau découpage territorial basé sur « la nécessité d’une meilleure prise en compte des réalités sociologiques du pays ». Ces accords reconnaissent également les provinces du Nord et du Sud-Kivu comme des « zones sinistrées », appelant à des projets de développement intégrateurs, en priorité dans les zones les plus touchées. Ils prévoient aussi l’intégration des membres du CNDP dans les FARDC et la police nationale congolaise, ainsi qu’une amnistie pour les crimes commis entre 2003 et la signature de l’accord en 2009.
Les étapes marquantes de l’offensive du M23 dans l’Est de la RDC
20 novembre 2012. Première entrée des rebelles du M23 dans la ville de Goma. En octobre 2013, après les succès des FARDC soutenues par les casques bleus de l’ONU, le M23 dépose les armes. Un accord signé le 11 novembre 2013 engage les deux parties à mettre fin aux violences dans l’Est de la RDC.
Novembre 2021.Reprise des attaques par le M23 dans plusieurs territoires du Nord-Kivu.
Octobre 2022. Prise de la ville stratégique de Rutshuru et de la localité de Kiwanja par le M23, contrôlant une partie de la route nationale numéro 2 reliant Goma, Beni et Butembo.
Juillet 2024. Signature d’un cessez-le-feu effectif au 4 août, après une trêve humanitaire. Malgré cela, le M23 poursuit son avancée jusqu’au territoire de Masisi, dans le Nord-Kivu.
Décembre 2024. Échec des tentatives de médiation entre Kinshasa et Kigali lors du sommet de Luanda, en raison de l’absence du Rwanda, qui exige un dialogue direct entre la RDC et le M23.
Janvier 2025. Le M23 atteint et occupe Goma, provoquant un déplacement massif de la population, avec 700 morts et 2 800 blessés lors des affrontements.
Février 2025. Avancée du M23 jusqu’à Bukavu, dans le Sud-Kivu.
__________________________________________________________________
Pour plus d’informations lire, RDC : Ce que revendiquent les rebelles du M23
___________________________________________________________________
Joséphine Kahambu, une habitante de Butembo, s’inquiète pour ses enfants. Les messages diffusés à travers des groupes WhatsApp ne font qu’accroître son inquiétude. « La nuit dernière, j’ai lu sur un groupe qu’un homme avait été tué, et cela fait maintenant quatre jours que je vois des vidéos sur le meurtre de civils. Moi, j’ai quatre fils, alors si les insurgés du M23 parviennent jusqu’ici, à Butembo, ce sera une tragédie pour ma famille », déplore-t-elle. Elle songe à quitter la ville si le M23 avance vers le Grand Nord-Kivu. Au 14 mars, la ville de Butembo était encore sous le contrôle du gouvernement congolais.
À Goma, où vit Jean Christophe, l’annonce de la mort du gouverneur militaire, le Général Peter Chirimwami, le 24 janvier 2025, a davantage troublé une population déjà en panique sous le spectre du M23 qui a finalement pris le contrôle de cette ville stratégique quatre jours plus tard.
Jean Christophe a été la seule personne dans sa famille à utiliser le téléphone dès que les FARDC ont confirmé la mort du gouverneur militaire. « Ce que Goma a vécu était horrible pendant quatre jours, j’avais confisqué les téléphones de mes trois adolescents, je voulais être le seul à répondre à leurs questions à ce moment-là », a-t-il témoigné.
Le manque d’informations fiables et impartiales a retardé les départs avant l’arrivée des rebelles et freiné les efforts humanitaires
« Je faisais confiance aux autorités qui répétaient que Goma ne tomberait jamais. Je me rassurais en pensant qu’en plus des FARDC, nous pouvions compter sur la présence des forces de la SADC, des soldats burundais, des Roumains et même de la Monusco », raconte Nadine, mère de trois enfants vivant à Goma. Restée seule avec ses enfants, elle n’a pas pu quitter la ville avant l’arrivée des rebelles.
« Nous avons observé des pillages ainsi que des actes de justice populaire alimentés par la désinformation. À Goma, il suffisait qu’une personne dans la foule évoque un cas fondé sur une fausse information pour que l’ensemble de la population adhère à cette idée », a relaté Fidel Kitsa, journaliste fact-checker établi à Goma.
Un autre a confirmé que les intimidations ont conduit des journalistes à s’autocensurer. « Les menaces ont favorisé la diffusion de fausses informations, car certains journalistes craignent de rapporter la vérité, de peur d’être accusés de collaboration avec les rebelles, notamment avec la menace de la peine de mort. Certains restent inquiets, comme ces journalistes qui ont quitté Goma pour se réfugier à Beni », selon un responsable d’un média en ligne.
La censure des médias alimente les inquiétudes des populations et fragilise leur compréhension des événements
Dans un communiqué datant du 30 janvier 2025, Christian Bosembe, le Président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSAC) en RDC, a intimé l’ordre aux médias de s’abstenir de diffuser des informations sur cette guerre qui sévit dans l’Est du pays sans se référer aux sources officielles, sous peine de sanctions pouvant aller jusqu’au retrait de signal ou fermeture du média.
Trois semaines plus tôt, le ministre congolais de la Justice, Constant Mutamba, avait indiqué sur X : « Tout acteur politique, de la société civile, journaliste, religieux, qui relayera les activités de l’armée rwandaise et ses supplétifs du M23, subira désormais la rigueur de la loi (PEINE DE MORT) ».
___________________________________________________________
Lire : RDC : L’organe de régulation accusé d’intimider la presse
___________________________________________________________________
Note des auteurs : Note des auteurs : la SADC désigne la Southern African Development Community (Communauté de développement d’Afrique australe). Le 13 mars 2025, les chefs d’État des pays de cette région ont annoncé la fin du mandat de la force militaire déployée par la SADC dans l’Est de la RDC après une mission de plus d’un an.
___________________________________________________________________
Citation
Le responsable d’une radio locale à Goma a, quant à lui, décrit les ajustements nécessaires depuis l’arrivée de l’AFC-M23 dans la ville. « L’arrivée de l’AFC-M23 à Goma nous a obligés à réajuster nos lignes éditoriales. Désormais, nous adaptons notre vocabulaire : nous ne parlons plus de rebelles ni de guerre d’occupation, mais des forces armées de l’AFC-M23 », a-t-il expliqué.
Franck, un journaliste travaillant dans une radio communautaire, a également témoigné des pressions exercées par le CSAC et le gouvernement congolais. Selon lui, ces mesures ont davantage suscité une forme de révolte. « Nous avons dû nous consacrer à transmettre des informations authentiques, sans filtre patriotique ni compromis sur la vérité. Peu importe que cela plaise ou non, ou que cela déplaise à Kinshasa, nous avons choisi d’informer avec franchise », a-t-il affirmé avec détermination.
La RDC ne dispose pas d’une loi sur l’accès à l’information. En octobre 2024, le député national Jacques Djoli a déposé à l’Assemblée nationale une proposition de loi portant sur l’accès à l’information et la transparence de la vie publique en RDC Cependant, cette loi n’a pas encore été adoptée.
_____________________________________________________________________________________________
Lire : fiche d’info– Cartographie des textes et lois en faveur de l’accès à l’information publique en Afrique
_____________________________________________________________________________________________
Partout dans le monde, l’absence d’un cadre légal garantissant l’accès à une information claire et fiable aggrave la vulnérabilité des communautés face à la désinformation. Dans l’Est de la RDC, où le conflit et l’insécurité dominent, ce vide législatif permet aux rumeurs et fausses informations de se répandre encore plus rapidement et plus largement. Par exemple, dans certains cas, des communautés ont été incitées à fuir leurs domiciles suite à des informations erronées sur l’avancée imminente des rebelles.
L’autre conséquence plausible est qu’une telle situation provoque des tensions intercommunautaires. L’absence d’une information vérifiée et équilibrée a parfois conduit à des accusations injustifiées, provoquant des actes de violence ou de justice populaire.
Ce contexte fragilise non seulement le climat social, mais complique également la réponse humanitaire. Par exemple, des ONG ont signalé des situations où des messages mal interprétés ou intentionnellement manipulés ont alimenté la méfiance envers les acteurs humanitaires, ralentissant ainsi leurs interventions.
Sans accès à une information crédible, les populations se retrouvent désorientées et exposées à des décisions basées sur des informations fallacieuses. Cette situation fragilise davantage le tissu social déjà éprouvé par les violences et rend les efforts de stabilisation encore plus difficiles à mettre en œuvre dans un contexte aussi instable.
____________________________________________________________________________________
Cette série est rendue possible grâce à l’appui institutionnel de International Fact-Checking Network.
0 commentaires